Extrait
de Cahier d'Ubiquité - Tome 1 - (La sage leçon
du chien poète) - Editions Hermaphrodite - 2003
" Longtemps je me suis battu avec mon chien Oscar, labrador
de cinquante kilos, molosse noir à la mâchoire
épaisse et aux épaules carrées. Longtemps
je garderai en esprit et en cœur la trace de ses morsures
et le bruit étouffé de nos deux grognements,
la force de son cou,
musclé comme un bovin, et la douceur soyeuse de ses
oreilles pendantes. De ces combats pour rire, de ces jeux
essoufflés, de ces chocs de muscles, je retiens l’énergie
et la vitalité, le bonheur de la grande santé
et la joie insouciante d’une enfance animale que je
refuse, rétif, de laisser à l’oubli.
(...)
J’ai
souvenir d’une grande révolte, d’une grande
solitude et d’un silence ouaté lorsque le regard
dur et la mâchoire serrée j’entrepris de
poser sur le corps d’Oscar la première pelletée
de terre. J’ai souvenir de mes gestes inondés
par les larmes. J’ai souvenir également d’une
grande communion de moi avec le monde, moi avec la nature,
d’un tassement de ma nuque et du retroussement sec de
ma lèvre supérieure pour découvrir mes
crocs, d’un frissonnement de mes narines dans lesquelles
s’engouffraient tout à coup cent mille milliards
d’odeurs. Le monde resplendissait malgré cette
scène tragique, et me portait en lui, dans sa sérénité.
Ce jour-là, je compris. Je compris que je devenais
un chien... "
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