Extrait de Pour une religion du Bonheur - Libération (rubrique Rebonds) - 19 janvvier 2004

" La pensée judéo-chrétienne est pour nous aujourd’hui une véritable infusion, non seulement au sens où nous en buvons tous les soirs avant de nous coucher (manichéisme de l’information, idéalisme des divertissements de télévision, conformisme moral du discours politique quel qu’il soit), mais aussi au sens où nous infusons dedans depuis plus de cent générations. Ce que Fernando Pessoa nommait « l’opération chirurgicale anti-chrétienne » apparaît aujourd’hui comme une nécessité pour tout individu désireux d’accroître son bonheur et sa liberté. Mais on ne dira jamais assez à quel point cette opération est délicate et à haut risque. Elle consiste en effet à reconsidérer profondément tous les fondements moraux que nous portons en nous depuis des siècles. S’il est simple, voire simpliste, de dénoncer la pensée judéo-chrétienne pour ses excès ou ses travers, il est autrement plus dur, véritablement, de ne plus être soi-même judéo-chrétien. Il faut dire également que l’on nous y aide bien peu…

Il est peu étonnant en effet que l’Etat, les milieux économiques, les représentants religieux et les penseurs dominants s’accordent fort facilement pour circonscrire tout débat dans le cadre triangulaire de la pseudo science économique, de la morale judéo-chrétienne et d’une éthique mollement « humaniste » (l’Humanisme, vidé de sa charge subversive, n’étant plus considéré aujourd’hui que comme une sorte de morale chrétienne pour les athées). Personne ne s’étonne jamais – alors que le principe est consternant – devant un débat prétendument « contradictoire » entre trois représentants des trois religions issues de ce que les Chrétiens nomment l’Ancien Testament. On souhaiterait pourtant vivement entendre dans ce type de débats la voix, pour le coup dissonante, de quelqu’un qui oserait dire, par exemple, que Dieu n’existe pas ou que le divin n’est pas ce qu’en disent les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans ou encore que l’homme n’est pas sur terre pour souffrir et travailler en attendant la mort, mais pour rire, jouir et être heureux !"