Extrait de Tentative d'Assassinat du Bourgeois qui est en moi (Le même effroi mais froid) - Inédit à paraître...

" Toute l’histoire de l’antibourgeoisisme marche sur ce modèle-là. Un petit moustachu hystérique aux yeux bruns critique très violemment les bourgeois de la République de Weimar en faisant l’éloge du peuple allemand et des grands blonds aux yeux bleus. Une fois au pouvoir, il massacre son peuple et envoie les grands blonds aux yeux bleus à la guerre. Un grand barbu bourgeois s’amourache du prolétariat et produit un système où règne une petite caste d’apparatchiks bourgeois. Des militants antifascistes de bonne foi en arrivent à réclamer la prison ou la mort de tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Caricatures toujours. Incantations toujours. Fuites, règlements de compte avec sa mauvaise conscience. Puis enfin conversion, sous une forme ou une autre, à cela même que l’on prétendait combattre.
Et aujourd’hui que dire ? La même chose malheureusement, la même chose sempiternellement : par exemple que les « alter-mondialistes » portent en eux leur échec. Surjouant, sur-affirmant en incantations tout ce qu’ils sont incapables d’être, tout ce qu’ils ne sont pas. S’opposant aux bourgeois sans s’être demandés s’ils n’étaient pas eux-mêmes, avant tout, des bourgeois. Ils iront sans doute loin, peut-être même au pouvoir, mais ne donneront naissance qu’à de nouveaux bourgeois. Tout cela est dans l’ordre des choses. Dénoncer le bourgeoisisme chez l’autre, sauter cent fois sur place déguisé en anti-bourgeois « alternatif », invoquer les esprits de la révolution, de Castro, de Zapata ou de Che Guevara, voilà sans aucun doute la manière la plus sûre de demeurer un bourgeois.
Pour devenir non-bourgeois, il faut savoir lâcher prise et cultiver son jardin. Il faut oser se dire : « Je me tais, car le bourgeois, c’est moi. Je me tais parce que j’ai du travail. Je me tais car je dois tout d’abord tenter d’assassiner le bourgeois qui est en moi ». Alors seulement peut-on envisager d’aller plus loin. Il faut être fondé, il faut être exemplaire avant d’avoir la prétention d’être révolutionnaire.
Nous sommes tous en quête de nous-mêmes, à la recherche de notre non-bourgeois. Mais la plupart s’égarent sur les chemins de la facilité. Qu’ils deviennent bourgeois lâches ou antibourgeois forcenés (l’un n’empêchant pas l’autre), ils ne sont jamais nus, ne sont jamais eux-mêmes. Le silence leur est insupportable. Ils transforment le monde en un champ de bataille pour y régler leurs comptes à grands coups d’opinions.
Le non-bourgeois que nous cherchons, lui, n’a plus d’opinion… Il incarne la révolution et cela va sans dire
".