Extrait de Moyens d'Accès au Monde (Introduction 2 : Cénotaphe pour mon dandy) - Editions du Bord de l'Eau - 2005

" Parce qu’il est désenchanté et qu’il ressent mieux que quiconque la douleur consécutive à l’absence des dieux, le dandy est enfant du désert. Mais, parce qu’il ne s’accommode pas de ce désenchantement, du désert il est aussi le premier descendant parricide. Chronologiquement, il est le premier traître à la classe désertique, le premier – avant tous (dadas, punks et autres) – à prendre le maquis. Et s’il est le premier c’est parce qu’il n’attend pas pour fuir de théoriser ou de dompter sa peur. Il quitte le désert comme l’animal quitte les endroits qu’il ne peut habiter. L’histoire du dandysme est celle d’un homme qui recherche les moyens d’échapper au désert afin de retrouver une demeure habitable. C’est en tant qu’il est le premier expérimentateur des outils de fuite qu’il crée, que le dandy nous intéresse ici. Dans un temps qui bascule dans le faible, le médiocre, le moyen, l’insipide, le dandy continue malgré tout, en solitaire, à louer le puissant, le beau, le fort, le fin. Non seulement le louer mais aussi l’incarner, dans chaque chose, chaque instant, chaque geste de sa vie. Sans plier et sans faux-semblants. C’est en cela, et en cela seulement, qu’il nous intéresse ici. Quand tout se précipite, quand les valeurs s’inversent de la manière la plus ridicule et la plus inédite qui soit, quand ce qui est le plus quelconque, le plus insignifiant devient soudain ce que tout le monde vénère, le dandy reste droit et résiste. Comme il peut. Tant qu’il peut."